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Le complexe de Mohamed, par Max Vega-Ritter

le complexe de mohamed 
Un roman de la folie, tranquille et rationnelle
par Max Véga-Ritter

Un roman de la folie, tranquille certes, avare de mots ou loquace à bon escient, pas plus qu’il ne faut, rationnelle. Un humour parfois noir, ramassé, froid et réservé, presque « british ». Ou plutôt une ironie swiftienne, avec des tirs au but et des cibles abattues sans bruit et sans éclat.

Le héros est algérien. Il s’enferme un jour chez lui, absent pour tous sauf à son psychanalyste. A moins qu’il ne se soit claquemuré pendant deux ans avec un travelo. Personne ne sait. Il n’en sortira que pour aller à l’enterrement, avec imam, de son père, un antireligieux, à Skikda, après un passage à Constantine. Il est vrai que tout cela se passe, alors en 2020. L’Algérie a alors bien changé, asssure-t-on au héros.

À Constantine le passage à l’hôpital psychiatrique est un festival d’absurdité : un des pensionnaires est un traqueur d’islamistes, dont la France s’est débarrassée parce qu’il devenait gênant. Il croupit dans une chambre, l’écume de la bave à la bouche, mais c’est de dose de chique excessive rassure le médecin psychiatre. C’est son doute sur la démocratie algérienne qui a attiré sur lui l’intérêt bienveillant des autorités psychiatriques.

Heureusement on lui a peint au mur deux portraits de policiers français qui ont sur lui un effet apaisant. Les amateurs de décryptage psychanalytique pourront s’en donner à cœur joie, sur lui ou sur d’autres personnages non moins baroques, comme la membre du gouvernement, devenue laïque islamique et qui, se déclarant apostat en privé, est immédiatement internée.

L’épouse du héros, psychanalyste de son état, pousse le goût de l’autonomie personnelle jusqu’à se faire accoucher elle-même, chez elle, avec l’assistance, apeurée, de son époux, qui guette avec angoisse, à coup de spéculum, le surgissement de la « jolie tête blonde » au détour de l’utérus.


Le lecteur amateur d’absurde et de baroque pourra faire ses délices de ce feu d’artifice d’incongruités et de grotesque dans un style toujours correct et retenu. Il y a là mieux qu’un antidépresseur, pour ceux qui en consomment; les plus malintentionnés pourront voir là quelque complot ou quelques sous-entendus, toute ressemblance avec des situations ou des personnages connus étant, selon la formule consacrée, purement fortuite.

Le personnage central, narrateur de son état, témoigne cependant d’une étonnante fidélité de sentiment, en amour comme en amitié par exemple, et d’un non moins remarquable sang-froid en dépit des circonstances qui en auraient désarçonné plus d’un à sa place. En dépit des invraisemblances qui l’assaillent il conserve une remarquable capacité de sympathie et demeure l’objet de beaucoup de tendresse et de dévouement, de la part de sa baroque épouse, mais aussi d’un ami psychanalyste tombé éperdument amoureux de lui.

Si l’auteur hante les corridors de la folie, ouvre ici ou là des portes vers perspectives qui en feraient reculer beaucoup, il n’est nullement en danger d’être happé par le vide et le néant qui assiègent plus d’un de ceux qui se hasardent dans ces parages. Au moins de nos jours. Il garde une candeur naïve et une confiance désarmantes. De leurs côtés, ses partenaires assument leur instinct destructeur sans alarme excessive.

D’ailleurs « il n’en peut plus d’aller bien », du moins le dit-il à son psychanalyste, après que celui-ci, au milieu de la séance, l’a envoyé dans sa salle d’attente réfléchir à ce qu’il disait. « Ô mes douleurs faites moi-mal » clame-t-il en désespoir de cause, presque en vain. Il est vrai que tout se passe en 2020 et que l’Algérie a alors bien changé. Quant à la France, n’en parlons pas. La psychanalyse a opéré là aussi toutes les métamorphoses dont elle est capable, c’est bien connu. Une ironie swiftienne.

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Max Véga-Ritter
Professeur émérite
Université Blaise Pascal
Clermont-Ferrand


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Mohamed & Oedipe, par Anaëlle Lebovits-Quenehen
Le complexe de Mohamed, par Faustine Amoré

L’Algérie réinventée par la psychanalyse, Nathalie Georges-Lambrichs


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