karim sarroub Le complexe de Mohamed
par Anaëlle Lebovits-Quenehen, psychanalyste
(article paru dans Le Nouvel Âne n°9)
Le complexe de Mohamed (1) est le troisième roman de Karim Sarroub, fils très spirituel de Sartre et d’Ajar. Dans son précédent roman (Racaille), il nous faisait suivre les péripéties de Mohamed, un jeune homme de 16 ans aussi vif que déphasé portant, depuis l’Algérie des années Quatre-vingt, un regard faussement naïf sur le monde.
Le temps a passé, mais Mohamed n’a pas changé. D’ailleurs qui change ?
Son regard en biais nous porte dans la France et l’Algérie des années 2020. Momo a dix-sept ans d’analyse lacanienne dans les pattes, est devenu père et aime une jeune femme splendide qui fait toujours la gueule. Il vient de retrouver Chloé à la faveur d’un accident de voiture survenu à la sortie d’une séance justement. Il l’avait quittée jadis et la retrouve là, à son chevet, dans la clinique où il a finalement échoué. Retrouvailles avec une femme de toujours aimée, mais aussi avec Gilles, l’indéfectible ami.
Car le roman s’ouvre sur une ellipse temporelle de dix ans. Mohamed avait coupé les ponts avec tout son petit monde, il s’était absenté quelques temps pour ne plus voir, ne plus entendre, ni parler à personne sinon à son analyste. N’allez pas croire pourtant que Mohamed faisait son analyse pour devenir autre à lui-même. « Ce qui me troublait […] c’était au contraire, le sentiment précis que rien n’avait changé, que j’avais toujours été comme ça, et que je le comprenais seulement maintenant. » Il savait pourtant y faire avec les autres. Car avant de disparaître de la circulation, Mohamed n’ignorait pas que « le pire qu’on puisse faire à une personne qu’on aime, et qu’on veut garder auprès de soi, c’est de l’aider et de lui rendre service sans qu’elle ait rien demandé. »
Après les retrouvailles, c’est donc escorté de l’homme et de la femme qu’ils l’aiment – tous deux psychanalystes lacaniens et membre de l’Ecole de la Cause Freudienne – que Mohamed nous promène dans sa drôle d’existence, gaie la plupart du temps, tragique parfois.
Tragi-comique, quand Mohamed, citoyen français, reçoit une convocation de la préfecture, où il apprend qu’il est sur le point d’être expulsé. Le voilà donc indésirable sur le sol français et renvoyé « chez lui », en Algérie… Se peut-il que notre époque inspire ici le romancier ? Comme le disait déjà le héros de Racaille, « les preuves fatiguent la vérité. »
A l’occasion de la mort de son père, notre anti-héros nous fait aussi découvrir l’Algérie où il part l’enterrer. Il en donne une image idyllique, car, nous sommes en 2020, et d’ici là, tous les espoirs sont permis. C’est une Algérie – à nouveau – libre et laïque que nous visitons avec lui, une Algérie dont les principales villes sont désormais jumelées à celle d’Israël, et dont la capitale a récemment été le théâtre d’un congrès de l’AMP (2). Car en dix ans, « les Arabes en ont eu marre d’être considérés comme des arriérés, de recevoir des leçons de démocratie et de gentillesse. »
Le silence aux lèvres et les pensées allègres, le narrateur qui écrit comme il parle – on entend son ton à l’occasion ironique – se partage entre le moment présent et un passé qui lui est resté décidément en travers de la gorge. L’écriture vigoureuse, les dialogues hilarants donnent à ce roman un inimitable élan comique. Il faut lire Karim Sarroub et connaître Mohamed.
Anaëlle Lebovits-Quenehen
Deux extraits du roman :
Sur ces mots, elle a sorti de son sac de vieux journaux, qu’elle a étalés sur le lit. Sur la couverture de deux d’entre eux, je pouvais lire :
« L’Occident est sous le choc : l’Algérie n’en fini pas de surprendre. Après la paix au Proche-Orient et la réconciliation de tous les pays arabes avec Israël, le nouvel Islam démarre bel et bien en Algérie. »
J’ai tourné quelques pages. Puis j’ai demandé à Chloé
« Tu irais donc en Algérie, si on t’invitait ?
Elle a écarté les bras avec un air de reproche poli.
« Après tout ce que je viens de t’apprendre, tu me poses encore une question pareille ? Je crois que tu ne te rends pas compte. Il faut que tu ailles voir par toi-même. Si tu veux tout savoir, j’en reviens. J’ai assisté à un congrès de l’AMP le mois dernier à Alger. Je peux te dire que c’est bien le premier pays arabe au monde où la psychanalyse s’est si bien et si fortement implantée, bien plus qu’en France où les pouvoirs publics ont aujourd’hui du mal à se défaire d’une hantise autour de la dépression, qu’ils avaient eux-mêmes instillée dans l’esprit des Français à coups de guides et de spots publicitaires. »
Pendant que Chloé parlait, je me suis rapproché de la fenêtre. Les deux jeunes filles avaient fini leurs cigarettes. J’ai fermé les yeux. Les souvenirs se bousculaient dans ma tête. Je repensais à ce pays qui m’avait vu naître et grandir jusqu’à ce que j’entende Chloé qui me demandait :
« Tu es prêt ?
– Oui.
– Bien. Alors, allons-y. »
2ème extrait :
(…) Elle a éteint la lumière et a baissé un peu le son. Je lui ai demandé de venir dans mes bras. Elle s’est retournée et elle est venue se blottir contre moi. Longtemps après, alors que je pensais qu’elle dormait déjà, elle m’a dit, d’une voix claire, comme si c’était la suite d’une conversation :
« J’ai l’impression que mes patients s’en sortent mieux que moi. »
J’ai posé ma main contre son ventre et elle a fini par s’endormir.
Au milieu de la nuit, je me suis levé pour aller à la cuisine. J’ai bu deux verres de lait frais. J’avais très chaud. Puis j’ai pris deux yaourts nature et je suis allé les manger dans le bureau de Chloé. Je me suis assis à sa place. Collées sur le bord de son écran d’ordinateur, il y avait deux notes, l’une sur l’autre, écrites au crayon noir et datées de sa main :
« Etre psychanalyste, ou entreprendre une analyse, c’est simplement ouvrir les yeux sur cette triste évidence qu’il n’y a rien de plus cafouilleux que la réalité humaine. »
J’ai soulevé le deuxième post-it et j’ai lu :
« Est-ce que vous vous êtes aperçus à quel point il est rare qu’un amour échoue sur les qualités ou les défauts réels de la personne aimée ? – 23 février 2018. »
(1) « Le complexe de Mohamed », éd. Mercure de France
Parution le 23 oct.2008
(2) L’AMP est l’Association Mondiale de psychanalyse, orientée par l’enseignement de Jacques Lacan, fondée par Jacques-Alain Miller. Elle est aujourd’hui le deuxième regroupement international de psychanalyse après celui que Freud avait crée il y a un siècle.
…
Le complexe de Mohamed est interdit en Algérie
L’Algérie réinventée par la psychanalyse, par Nathalie Georges-Lambrichs.
Le complexe de Mohamed, par Faustine Amoré
Le complexe de Mohamed, par Max Véga-Ritter.
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Alors, Karim, la suite du Complexe de Mohamed, c’est pour quand ? Qu’est-ce que tu fous ? Tu nous as mis l’eau à la bouche avec ton « printemps arabe » avant l’heure, avant tout le monde. Tu t’es remis à la gratte ou quoi? Lâche ce manuscrit, c’est bon là.
« L’Occident est sous le choc : l’Algérie n’en fini pas de surprendre. Après la paix au Proche-Orient et la réconciliation de tous les pays arabes avec Israël, le nouvel Islam démarre bel et bien en Algérie. »
Tu parles, c’est la Tunisie qui a fait un pied de nez à tout le monde arabe. Rattrape-toi…
Je t’embrasse
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