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Des autistes et des psychanalystes

Des autistes et des psychanalystes
Editorial
Nathalie Georges-Lambrichs

La maladie mentale est-elle vouée à disparaître ? Les premières Journées de l’Euro-fédération de psychanalyse (2 & 3 juillet 2011, Bruxelles) qui portent sur son envers, « la santé mentale », nous en diront bientôt quelque chose. En tout cas, la sortie de l’autisme du champ de la maladie mentale et sa consécration officielle comme « handicap » auront eu pour effet paradoxal de baliser la voie du symptôme : dire que, « dans le dernier enseignement de Lacan, la psychanalyse est [devenue] un forçage de l’autisme grâce à la langue, un forçage de l’Un de jouissance grâce à l’Autre de la langue »[1], faire de l’autisme un attribut essentiel du parlêtre, c’est donner chance à une déségrégation véritable de ceux qui, un par un, ne sont pas résorbables dans une « population » au sens de l’épidémiologie qui tant les prise.

Inauguré avec Rosine et Robert Lefort auxquels il est plusieurs fois rendu hommage dans ce numéro, le débat sur l’autisme a pris de la vigueur, notamment parce que des psychanalystes n’ont pas reculé devant ce « spectre » dont Eric Laurent fait sonner la polysémie. Le clinicien s’implique, avec toujours plus de rigueur du fait qu’il s’expose, dans le transfert qu’il suscite et assume, pour le faire servir au traitement par la parole. La parole qui s’invente entre silence et cris regagne ainsi du terrain, nous enseignant sur les conditions de son frayage ; ainsi, le psychanalyste aménage des abris sur le champ de bataille où s’affrontent les industries et les grandes institutions qu’elles asservissent. Cette série de travaux cliniques et théoriques fera-t-elle ouverture à plus de réflexion quant à nos manières d’y mettre en fonction la parole ?

La psychanalyse ne déroge pas à sa topologie – affine à un espace à même de faire se recouper des extrêmes – en s’impliquant dans ce débat politique. Elle ne fait qu’étendre son questionnement quant aux fondements du lien social et au pouvoir de cet amour si particulier qui naît quand un sujet rencontre chez un de ses congénères un désir décidé de savoir sans peur et sans reproche. La clinique de la passe y apporte toujours des éclairages nouveaux. En même temps, elle se fait sensible au thème du prochain congrès de l’AMP. Quant aux héros du XX° siècle, « grands hommes » aussi hors normes que les sombres époques qui les ont suscités, ils contribuent aussi, quoi qu’ils en aient, à nous débouter de nos préjugés.

Nos chimères (de guérir, d’éduquer), nos fantasmes (de liberté ou de dépendance) nous tiennent éloignés du réel, aussi longtemps que nous ne les avons pas réduits, traversés, surmontés. Ils n’ont pas l’étoffe des rêves dont l’artiste fait œuvre.

L’expérience de la psychanalyse, qui nous façonne, nous rend aptes, en revanche, à des actions parentes de celles des créateurs, quand elles aiguisent l’arête qui fait bord entre nos « façons d’endormis [et nos] façons d’éveillés »[2] débouchant sur un style donnant au savoir son prix.

Lacan énonçait il y a quarante ans : « le psychanalyste ne semble pas avoir rien changé à une certaine assiette du savoir »[3]. Voilà une petite phrase bien tournée qui tombe à pic. Il ne faut peut-être pas la lire à la va-vite. Il ne me semble pas qu’elle signifie tout à fait que le psychanalyste semble n’avoir rien changé à une certaine assiette du savoir, même si Lacan dit, peu avant, qu’elle n’a rien « amélioré » dans les salles de garde « au regard des biais qu’y prennent les savoirs ». Peut-être y a-t-il, néanmoins, dans cette assiette, encore un certain mystère, une opacité. Assiette est un mot qui a deux entrées dans le Trésor de la langue française. La première n’est pas celle qu’on croit, et l’expression « être dans son assiette » y ravive les couleurs du corps tout entier. L’assiette semble bien être ce que l’analyste ne doit pas cesser de remettre sur le métier, et le divan. D’ailleurs les autres, autistes ou non, ne cessent de l’y aider.

« A notre époque postfreudienne, dit Anish Kapoor, le langage est là pour que l’on en profite », et il ajoute, sibyllin, à un certain niveau au moins[4].

Les quatre premières leçons de l’orientation lacanienne indiquent qu’un pas a été franchi, à partir du point final mis cette année par Jacques-Alain Miller à l’édition du Séminaire de Lacan. Son dialogue avec celui qui fut son maître prend un tour nouveau.

Nos conversations se diversifient : outre celle sur la passe, il y a le dialogue entre les psychoses, l’ordinaire et l’extraordinaire, et une reprise de la Deutungfreudienne du rêve qui s’étoffe, à laquelle un cauchemar de Borges fait écho.

Ainsi, nos échanges témoignent des voies que nous frayons pour nous approcher de ce certain niveau du moins, en le maintenant, chacun avec les moyens du bord duquel il participe, dans son corps et dans sa pensée, du fait qu’il y a, encore, des dires, passés, présents ou à venir, des dires spécifiques, dont la portée nous échapperait pour de bon, si nous n’y faisions de plus en plus attention.

Sommaire


[1] Miller J-A., « Le dernier enseignement de Lacan », La Cause freudienne,
n°51, mai 2002, p.12

[2] C’est le titre du recueil d’Henri Michaux.

[3] Lacan J., « Savoir, ignorance, vérité et jouissance » ; Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p.15

[4] Je n’ai rien à dire. Entretiens avec Anish Kapoor, Paris, RMN Grandpalais, 2011, p. 15.

Des autistes et des psychanalystes
karim sarroub freud
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