Karim Sarroub A l’ombre de soi
Nelly Kaprièlian,
Les Inrockuptibles (Sep 1998)
Le tic-tac d’une pendule. Une voiture bleue. Un vieil homme et un chien. Un bar, puis un jeune homme, puis une jeune fille dans un appartement. Une vagabonde gare Saint-Lazare. Pont-Marie, un homme qui sort d’une voiture et jette un paquet de lettres dans la Seine…
Ce qui fait le lien entre ces faits, entre ces êtres, c’est le regard de Zoheir, un jeune Français d’origine algérienne qui sort de la prison de Maubeuge. Un regard écarquillé, plein d’étonnement, porté sur le réel comme s’il le percevait pour la première fois. Où chaque trait, chaque geste ne semble qu’une apparence amplifiée, vide de sens. Peut-on à ce point oublié le monde – et sa lecture – après trois ans de prison ? « Je m’étais pour ainsi dire oublié et, avec moi, tous ceux que je connaissais. »
A travers les quarante-huit heures qui vont suivre la sortie de Zoheir, le premier roman de Karim Sarroub raconte avec une justesse et une maîtrise inouïes cet oubli de soi. Comment le monde même, lorsqu’il est désinvesti de soi – c’est à dire de la conscience qu’on en a, de la mémoire des règles qui s’y jouent, des codes, de la société et de la vie -, perd tout son sens. Ces retrouvailles avec la liberté deviennent vite errance : entre Maubeuge et Paris, entre un embryon de liaison avec une étudiante et le rejet de la part de sa famille, entre l’appartement d’un ami qui lui propose un boulot (caissier dans un supermarché) et les vitrines de Noël des grands magasins. « J’ai dû m’arrêter, car je ne savais toujours pas où aller. C’est affreux de ne pas savoir où aller. Les gens qui savent où aller ont cette chance : ils sont toujours inquiets, toujours angoissés, même quand ils rient. Moi, je ne sais pas rire, ni m’angoisser. Il faut que je réapprenne. » Mais peut-on réapprendre à être dans un monde qui ne vous laisse pas de place ?
Oublié de soi, évacué des autres, Zoheir à le parcours d’une balle de flipper : constamment heurté, renvoyé d’un point à un autre, sans but. Il finira même, au cours de son errance, par être victime d’un attentat à la bombe dans le métro parisien. Une explosion qui, une fois encore, l’éjecte. On regrettera néanmoins ce crescendo dramatique qui rompt avec la tenue du livre et n’ajoute rien à son sens. De même qu’on regrettera une fin un peu trop spectaculaire. N’empêche, Zoheir n’en reste pas moins un beau personnage, généreux. Parce que cet oubli de soi le projette vers les autres, pour les voir et les écouter. Et que « celui qui sait voir et écouter sait aimer. »
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L’expression d’une parole muette, par Valérie Besnard
karim sarroub A l’ombre de soi
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Je l’ai lu en algérie, je savais pas que l’auteur l’a dédié au peuple algérien, les citations et les dédicaces ont été censurés dans l’édition algérienne. Le plus marquant c’est le personnage principal et sa vision des choses, des êtres qui l’entourent, son rapport au monde, etc. Je dirais que l’histoire est réussie en grande partie grâce à la linéarité de la narration et au personnage principal. Un roman qui me rappelle quelques grands romans. C’est dommage que les autres romans de karim sarroub sont interdits en algérie.
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