Les amants de Padovani de Youcef Dris, par Slemnia Bendaoud

Les amants de Padovani de Youcef Dris : « Le rêve du fruit défendu. »
(Editions Daliman)

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L’histoire en question traite d’une promiscuité qui existait entre deux communautés, l’une pied-noir, et l’autre indigène, vivant toutes les deux sur le sol algérien, nouant entre elles cette autre relation de l’équivoque et de la honte, née d’un amour qui aura le privilège de défier les traditions pour s’inscrire en totale contradiction avec leurs us et coutumes.

Bousculer les hiérarchies préétablies, mettre à rude épreuve les us et les traditions, traquer l’impossible, défier la nature humaine ou des choses de la vie, titiller les consciences, secouer les tabous, chercher après ce rare reflexe qui crée extase ou cet autre fantasme qui n’existe que dans les tumultes profonds des paradoxes de l’histoire ancienne de l’Algérie, tels auront été tous ces nombreux indices et enchevêtrés dogmes que Youcef Dris est allé les taquiner, à coups de jets d’encre répétés de sa plume modeste mais habile et très alerte, qui fait dans le style très simple, bien appliqué, vif et captif, s’appuyant sur la seule force du verbe usité et le secret de l’histoire embrassée, pour l’occasion, admirablement racontée.  Comme dans toute histoire fantastique d’un rêve superbe, c’est celle du fruit défendu qui s’invite au galop dans ce petit, court mais très puissant roman.  Le titre porté en véritable étendard en faveur de cet amour très particulier ou assez singulier que couve en son sein ce chef-d’œuvre de ce grand narrateur renseigne parfaitement sur son caractère jugé  autrefois plutôt « illégal » ou bien parallèle à ceux que scelle, parfois à jamais, cet acte solennel prononcé par les officiels de la municipalité, et plus tard, bien classés et profondément enfouis dans ces nombreux actes des grandes archives de la communauté. N’empêche que cet amour-là, classé presque impossible, à son époque, eut quand même bien lieu ! Mieux encore, il aura produit à juste titre tout juste un mort-né, lequel aura également emporté avec lui celle qui le portait en elle, dans ses entrailles, au cours d’un accouchement très difficile qui aura ravi aux siens les deux êtres.

L’histoire en question, tissée d’une main de maître, puisque empreinte d’une tangible réalité qui se fond dans le plus subtil des imaginaires, traite de ce phénomène d’une plutôt possible promiscuité entre deux communautés, l’une pied-noir, et l’autre indigène, vivant toutes les deux sur le sol  algérien, nouant entre elles cette autre relation de l’équivoque et de la honte, née d’un amour qui aura le privilège de défier les traditions pour s’inscrire en totale contradiction avec leurs us et coutumes. En effet, grâce à l’entremise de sa grand-mère Fatma, femme de ménage chez les  Démontès, le petit orphelin de père Dahmane sera élevé aux côtés de l’autre quartette des orphelines de leur mère et appartenant à cette même famille de pieds-noirs, dont le géniteur était avocat de profession à Alger, durant la première moitié du siècle dernier. Fatma dont la fille s’est remariée au bled, à Tizi Ouzou, après la mort de son premier mari, devait donc lui garder son rejeton, pour l’amener le jour avec elle jouer avec ces petites fillettes au sein du domicile des Démontès dont elle assurait la surveillance diurne et le ménage. Dahmane, devenant plus tard Dédé, grandira ainsi côte à côte avec Amélie sous l’œil bien veillant de la besogneuse Fatma et parfois celui vigilant et scrutateur de ses moindres mouvements du maitre des céans, alors tout content de trouver en cette vieille dame celle qui sera, à la fois, leur mère, après la disparation de sa femme, et leur docile bonne.

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Des années passèrent, et Dahmane et Amélie se retrouvèrent, plus tard, encore au lycée, cette fois-ci,  comme à leur première rencontre d’enfance, toujours très proches l’un de l’autre,  fréquentant la même classe d’examen les préparant au fameux bachot qu’ils décrochèrent brillamment tous les deux. De la très longue amitié qui liait les deux tourtereaux naquit donc aux forceps ou tout naturellement cet amour de folie qui prendra le relais, via un petit voyage de vacances, en France chez les grands-parents d’Amélie, en guise de ce baptême de feu qui allait produire cette étincelle qui lui manquait justement pour sceller à jamais leur union. Leur union, même si elle fut circonscrite à sa plus simple expression dans un premier temps, suscitera plus tard de véritables remous, les railleries des uns et la colère des autres ou leurs désappointements, réveillant souvent les consciences, déterrant les mauvais souvenirs, chamboulant complètement l’ordre établi, pour provoquer les plus fortes réprobations et indignations de la communauté de ces Seigneurs autoproclamés. Dahmane, l’indigène, accédait malgré tout à ce haut rang de vivre dans le pourtour immédiat et la petite lisière familiale des pieds-noirs avant d’y faire cette véritable intrusion, grâce à l’amour qu’il portait et nourrissait chaque jour davantage envers sa dulcinée. De cet amour-tabou naîtra donc par inadvertance ou réelle convenance de la brutale et virile concupiscence l’autre tabou de la grossesse qui mettra définitivement un terme à leur longue union. Et ce fut déjà l’enfer pour le couple dont le futur ne rimera plus qu’avec cabale judiciaire, prison, souffrance, tristesse, mort soudaine, haine de l’autre, embarras…

Ainsi prenait fin ce « rêve du fruit défendu », au moment le plus inattendu de sa très  longue histoire, rocambolesque et un peu chevaleresque, dont le relais le plus cauchemardesque renvoie les deux partenaires à leurs communautés respectives et origine identitaire. La longue récréation accouche donc de ce brusque frein  qui met fin aux nombreux plaisirs de la distraction improvisée. La descente aux gémonies de l’enfer commencera alors pour celui qui goûtera, à la fois, aux ténèbres des sinistres geôles coloniales et aux affres terribles du combat horrible du front, avant de rejoindre plus d’un quart de siècle plus tard l’autre cimetière, celui réservé aux musulmans. Le couple comme son enfant* sont donc tous morts et enterrés. Chacun dans son propre coin, dans son propre patelin, pour ne faire ni de polémique ni même susciter l’ire des plaisantins. N’en subsiste, à présent, que cette formidable histoire, bien réelle malheureusement, qui fait chavirer encore les c?urs des humains comme des navires craignant douloureusement le grand naufrage d’une forte tempête de mer, pour inspirer même  d’autres plumes, en manque flagrant d’imagination. L’auteur raconte, en fait, l’histoire de son propre demi-frère, dans un style des plus accessibles, que lui impose ce besoin pressant de ressusciter cette vie tourmentée de toute une aile de sa famille. Fatma, la grand-mère de Dahmane, l’est également pour le narrateur. Pour lui, Les amants de Padovani est une véritable histoire de famille. Et, il en témoigne avec cette grande poigne, aidé juste de sa plume qui se déchaîne contre le sort malheureux de son grand héros !

Propos recueillis par Slemnia Bendaoud, philosophe et écrivain |  Algérie News

(*) Ainsi laissait-on entendre dans un premier temps, avant que son père, mourant, lui aussi, ne le découvre enfin, encore vivant, suite aux aveux de sa tante, mais portant un tout autre nom et plutôt le même prénom que son géniteur (Damien, juste dans l’accent cher à l’autre langue), consécutivement au testament de dernière minute, fait peu avant sa mort dans un hôpital français.
« Les  amants de Padovani  » de Youcef Dris, Editions Dalimen – Algérie, 150 pages


 

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16 réponses à “Les amants de Padovani de Youcef Dris, par Slemnia Bendaoud

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  6. bravo a slamenia bendaoud pour son courage et son soutien à youcef dris, je suis effarée par tout ce que je découvre sur Yasmina Khadra et les plagiats

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  8. Bonjour
    Je suis le premier éditeur de Khadra en France. Ci-joint une « humeur » sur mes démêlés avec ce monsieur :
    http://jeanjacquesreboux.blogspot.fr/2014/04/comment-je-me-suis-fait-entuber-par.html
    Cordialement

  9. même en suisse on en parle…

  10. heureusement que des

    heureusement que des intellectuels algériens lui donnent la parole

    Yasmina Khadra, cet écrivain célèbre, s’est fait virer du CCA comme un « vulgaire » secrétaire, un « vulgaire » fonctionnaire
    qu’est-ce qu’il a fait au CCA? j’espère qu’on va découvrir des choses maintenant qu’il est banni des grands « cercles »
    on compte sur Zehira Yahi pour nous dire s’il a servi à quelque chose ou non ou s’il n’a servi que sa cause…

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